Rendre le vote obligatoire en France, c’est possible ?

Rendre le vote obligatoire en France, c’est possible ?

Depuis l’an 2000, pas moins de 14 initiatives législatives portées par des parlementaires de diverses sensibilités politiques ont proposé de rendre le vote obligatoire en France. Un tel système existe dans 22 pays du monde. Pourrait-il être importé en France ? A Voté tente de répondre en explorant quelques cas européens.

Si une telle mesure semble réalisable en pratique, son impact sur le civisme et l’abstention n’est pas toujours évident à mesurer. Surtout deux Français sur trois seraient opposés à son instauration. Ce taux, qui atteint 73% chez les jeunes, questionne l’acceptabilité sociale du dispositif pour le public le plus abstentionniste.

 

S’inspirer des exemples étrangers 

 

Au Brésil, le vote est obligatoire depuis 1932 pour les électeurs de 18 à 70 ans. Les citoyens qui n'ont pas voté aux trois dernières élections doivent payer une amende, sous peine d’être empêchés d'assumer une fonction publique et ou de se faire délivrer leur passeport. Les fonctionnaires doivent présenter régulièrement leur carte d'électeur. 

 

Si l’on s'intéresse aux modèles les plus proches du système français, plusieurs pays européens ont rendu le vote obligatoire, parmi lesquels la Belgique, le Luxembourg ou encore l’Autriche, avec des modèles de sanction divers et des applications diverses. En Belgique, il est possible d’excuser son absence : les électeurs sont tenus de justifier leur abstention auprès du juge de paix qui peut admettre le fondement de leur motif en accord avec le Procureur du Roi. Pour les électeurs dont les “excuses” n’ont pas été admises, le tribunal de police statue sans appel : une première absence non justifiée est punie d’une réprimande ou d’une amende de cinq à dix euros, une récidive le sera de dix à vingt euros. Quatre récidives en quinze ans peuvent déboucher sur une radiation de liste, ce qui équivaut à une déchéance de droits civiques faisant obstacle à toute nomination, promotion ou distinction d’une autorité publique. 

 

Au Luxembourg, sur le même principe, certains motifs d’absence peuvent être admis par le procureur : sont excusés d’office les électeurs résidant dans une autre commune que celle du vote et les électeurs de plus de 75 ans. En revanche, les amendes sont plus importantes : jusqu’à 250 euros pour une première abstention et 1000 euros pour une récidive dans les cinq ans. 

 

La jurisprudence autrichienne met en évidence deux tensions. D’abord, la difficulté à prouver l’infraction lors de la procédure pénale, avec l’apparition de nombreux certificats de complaisance et de faux témoignages. Ensuite, un cas porté devant la cour européenne des droits de l’homme met en évidence la nuance entre acte de vote et expression du vote : la Cour a rejeté l’argument qui défend que le vote obligatoire puisse violer la liberté de conscience ou de conviction. En effet, l’électeur n’est pas contraint de choisir un candidat. 

 

A noter, certains Français pratiquent déjà le vote obligatoire : certains citoyens français résidant dans les pays où le vote obligatoire sont soumis à cette obligation dès lors qu’ils sont inscrits sur la liste électorale, en vertu de la directive 94/80/CE du Conseil. 

 

Notre système permettrait-il de rendre le vote obligatoire ?

 

Ni la Constitution française ni le droit européen n’interdisent l’instauration d’un tel dispositif. Il nécessite cependant de réfléchir d’une part aux sanctions attenantes et aux mesures de nature à renforcer l’acceptabilité citoyenne d’une telle évolution. Le système français prévoit déjà certaines règles de sanctions. Ainsi, dans le cas des sénatoriales, les membres du collège électoral ne prenant pas part au scrutin s’exposent à une amende de 100 euros (article 158 du code électoral); Le code de procédure pénale prévoit un régime d’amendes allant de 4 à 200 euros.

 

Des sanctions non financières peuvent également être envisagées. L’article 131-26 du code pénal prévoit d’ores et déjà des cas d’interdiction d’exercice des droits civiques. Ce même article précise que l’interdiction du droit de vote ou l’inéligibilité emporte l’interdiction ou l’incapacité d’exercer une fonction publique. Le même code prévoit que lorsqu’elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, l’interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive, soit temporaire. Ces sanctions pourraient ainsi être étendues aux cas de non-respect de l’obligation de vote. 

 

Quel est l’impact de cette règle sur la participation et le civisme ? 

 

Il est difficile d’évaluer le véritable impact du vote. Une chose est sûre, il n’empêche pas l’abstention : au Brésil, en 2019, malgré le vote obligatoire, un Brésilien sur cinq s’est abstenu

 

Quel effet durable dans les habitudes civiques ? Aux Pays-bas, où le vote n’est plus obligatoire depuis 1970, les taux de participation sont restés élevés aux élections présidentielles mais n’ont cessé de baisser aux élections provinciales (46,40 % en 2007, 55,97 % en 2011) et européennes (39,26 % en 2004, 36,75 % en 2009) ainsi qu’aux municipales (93,35 % en 1966, 69,07 % en 1974, 58,56 % en 2006, 54,13 % en 2010).

 

Bref, si l’acceptabilité d’une telle option doit être explorée en France, elle devra forcément être accompagnée d’un éventail de mesures pour booster la participation. En Australie, par exemple, le vote obligatoire s’accompagne de la mise en place de bureaux de vote mobiles dans certains hôpitaux, dans les prisons et dans les circonscriptions isolées et de la possibilité pour certains électeurs ayant des difficultés à se déplacer (handicap, maladie, grossesse avancée..) de voter à proximité immédiate de ce bureau. La dissociation entre acte du vote et expression du vote pose notamment la question d’accompagner le vote obligatoire d’une reconnaissance du vote blanc (mais on en parlera un autre jour). 

 

Pour découvrir des alternatives ou des compléments au vote obligatoire, lisez le rapport du CESE avec plein d’autres propositions pour remédier à l’abstention des jeunes.  

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