« Une démocratie sans électeurs et sans sa jeunesse est-elle encore démocratique ? »

Mercredi 15 septembre 2021 - Lire la tribune sur lemonde.fr

Tribune. Parlementaire ou présidentielle, délibérative ou représentative, liquide ou participative, la démocratie donne à chacun la chance de participer au choix des règles qui conditionnent notre vie quotidienne.

Pourtant, la tendance à la participation électorale est, élection par élection, l’illustration d’une désertion des urnes, d’un basculement vers une « démocratie de l’abstention ». Ce phénomène est observable depuis les années 1980 et s’intensifie, tout particulièrement dans les catégories populaires et chez les jeunes. Une démocratie sans électeurs et sans sa jeunesse est-elle encore démocratique ?

L’habitude de la démocratie est si ancrée dans notre inconscient collectif que la célébrer, en cette Journée internationale de la démocratie, peut sembler incongru. La démocratie est pourtant bien plus fragile qu’on ne le croit. Il suffit, en effet, de se remémorer les étudiants de Hongkong qui, en 2014, ont défilé et constitué le mouvement de la « révolution des parapluies ». Comment oublier, en 2020, les rues de New York bondées de pancartes « Count every vote » (« comptez chaque bulletin de vote »).

Un héritage fragile et vulnérable

Ces mouvements civiques sont la preuve que la démocratie ne relève en rien de l’évidence. Au contraire, elle doit être défendue chaque jour davantage, parce qu’elle constitue pour les citoyennes et les citoyens le meilleur moyen de participer activement à la vie politique et institutionnelle de son pays. Elle est un héritage fragile et vulnérable qui, sans une forte mobilisation, pourrait disparaître dans le silence des bureaux de vote...

La France n’est pas épargnée par les maux de la démocratie. Depuis quarante ans, elle a pris des allures d’apathie. Chaque échéance électorale est l’occasion d’un constat de plus en plus évident : les isoloirs se vident, au point d’en devenir une habitude.

Ainsi, plus personne ne s’inquiète, la veille d’une élection, de savoir si l’on pourra ou non aller voter. Tout au plus, on commence à s’inquiéter du sort de l’élection au moment des premiers dépouillements. Le taux de participation est scruté à la mi-journée, puis au début de la soirée. On s’étonne qu’il soit toujours plus faible mais on oublie très vite, et aucun travail de fond n’est engagé pour améliorer durablement la situation.

Par le truchement d’un aveuglement général, on préfère ne pas voir, ou ne pas comprendre, que le seul vainqueur de l’élection, celui dont le score est le plus spectaculaire, n’a pas de visage, pas de programme et d’ailleurs, n’est même pas candidat. Presque à tous les coups, ce vainqueur est l’abstention. Ne nous y trompons pas : c’est contre cet ennemi que réside l’enjeu majeur des campagnes électorales à venir. Ne laissons pas ce silence devenir une norme. N’oublions jamais que le vote est le cœur battant de la démocratie et que sans lui, elle n’est plus rien.

Elle sait pourtant se faire entendre

L’urgence est bien réelle. Elle est d’éviter que les résultats électoraux ne soient plus représentatifs de la réalité de la société. Dans cette fracture, la voix des jeunes est aujourd’hui celle qu’on entend le moins le jour du vote. Paradoxe d’une jeunesse pourtant toujours plus engagée, mobilisée, à l’avant-garde de la solidarité et des défis de notre siècle. Cette jeunesse ne vote pas.

Alors qu’elle sait pourtant se faire entendre pour défendre des causes, elle déserte toujours davantage les urnes, élection après élection, comme si elle n’admettait plus que la politique puisse changer le cours des choses, comme si elle ne percevait plus le politique comme le serviteur d’un intérêt général.

Lors des dernières élections régionales et départementales, 87 % des 18-24 ans et 83 % des 25-34 ans n’ont pas voté, contre 66 % pour l’ensemble de la population. Il est à noter d’ailleurs que près de la moitié des 25-34 ans est non inscrite ou mal inscrite, c’est-à-dire rattachée à un bureau de vote qui ne correspond pas à son lieu de résidence effectif.

De toute évidence, la complexité et la lourdeur des procédures administratives participent à la désertion des isoloirs et contribuent à renforcer les inégalités devant l’urne. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir le droit de vote, encore faut-il pouvoir l’exercer sur la bonne liste.

Aux Etats-Unis, qui partagent avec nous cet enjeu d’inscription sur les listes électorales, des mouvements citoyens viennent rappeler l’importance de lever les freins pour l’inscription électorale et la participation au vote afin de favoriser une démocratie inclusive et apaisée. Si, dans notre démocratie vieillissante, voter doit être l’expression la plus forte, elle doit aussi être la plus simple.

5,2 millions de non-inscrits

Ainsi nous ne pouvons pas rester inactifs face aux 7,6 millions de citoyens considérés comme mal inscrits et aux 5,2 millions de non- inscrits, représentant plus de 25 % du corps électoral.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer A Voté, la première organisation non gouvernementale en France dédiée à la défense des droits civiques et du progrès démocratique. Une initiative citoyenne, indépendante des intérêts partisans et profondément ancrée dans la société civile, en coalition avec des associations locales, des universitaires ainsi que les corps intermédiaires attachés à la démocratie et au pouvoir citoyen.

Nous souhaitons, en ce 15 septembre, lancer une campagne d’une ampleur inédite, non pas pour un programme électoral ou contre une candidature, mais pour la démocratie elle-même et contre l’abstention. Pour que ceux qui devront vivre avec ses conséquences ne soient pas les grands absents du prochain scrutin. « Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau », écrivait Alexis de Tocqueville.

C’est à cette nouvelle génération que nous voulons nous adresser dans les mois à venir. Sans discours moralisateur ni jugement de valeur. Etre à l’écoute des raisons de l’abstention comme le porte- voix des solutions. Sans autre intérêt que celui de dire : « voter, c’est s’engager », « participer à un scrutin, c’est ne pas renoncer à agir sur son destin ». C’est le sens de notre démarche, et c’est l’enjeu de notre appel : que ceux qui souhaitent y participer nous rejoignent !

Les signataires : Flore Blondel-Goupil, coprésidente de l’ONG A Voté ; Marie Caillaud, coresponsable du Forum français de la jeunesse ; Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l’université de Montpellier ; Dorian Dreuil, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et coprésident de l’ONG A Voté ; Vincent Pons, professeur à Harvard Business School.